Un humain sur terre humanitaire, de Marseille au Niger

Rencontre avec le Niger

par Anne-Aurélie Morell

Il est plutôt cool, Raoul. Son patronyme, Viger, il le troque volontiers contre celui de Kanazi, du nom d’une petite île située sur le fleuve Niger, à quelques brasses de la capitale nigérienne Niamey. Lui et les membres de son association, qui fête ses quinze ans d’existence, partagent leur temps entre Marseille et le « Pays des mages noirs ». Leur leitmotiv : rencontrer, aider, échanger.

 

Il le demande comme un service : « j’aimerais que l’on parle plutôt de l’association et du travail de ses membres que de moi ». Promesse étant faite de faire la part belle aux actions de la structure, Raoul Viger n’échappera pourtant pas à un portrait en règle. Car derrière le calme olympien affiché par le fondateur de l’association Raoul Kanazi se cache un parcours atypique, énergique, plein.
Né au milieu des années 40 à Bruxelles, père franco-belge et grand-mère hollandaise, Raoul Viger cumule les diplômes : Sciences Po, sciences de l’info, Institut français de presse à Assas, DEA en sécurité civile et société,… Lors de son service militaire effectué dans le génie à Paris, deux interventions effectuées « à dix minutes d’intervalle » lui indiquent la voix professionnelle à suivre : la première – un banal feu déclenché par un téléviseur au ministère des Finances – l’amène à rencontrer Valérie Giscard-d’Estaing ; puis « une bagarre au vitriol entre deux clochards » le mène au troisième sous-sol de la rue Etienne Marcel. « Des bas fonds aux lambris de la République » il n’y a que quelques étages, et une même satisfaction : celle d’aider. Il deviendra pompier. Commandant, lieutenant colonel, porte-parole des pompiers de Paris, puis de l’armée pour le sud-est…

Sa « chance », c’est néanmoins au détour d’un des méandres de sa carrière qu’il la rencontre. Devant être affecté sur le continent africain, plutôt que la Côte-d’Ivoire, il choisit le Niger, « plus mal connu ». L’occasion de « découvrir un pays et sa population, sa mentalité, sa philosophie ». Il constate très vite que « les Blancs sur place étaient ce que l’on appelle des petits Blancs », dont la plupart, militaires ou enseignants, ne sont « là que pour la soupe et non pas pour aider alors que c’était leur mission première ». Mais avec le temps, ce côté s’émousse pour laisser place à un côté plus « africain ».

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Au terme de deux ans et demi de présence au Niger, Raoul Viger décide de s’installer un mois durant sur une petite île émergeant au milieu des flots du fleuve Niger, à quelques kilomètres de Niamey. Kanazi. L’unique lopin de terre accueillant des habitants, 450 environ, puisque le seul restant à sec même en cas de montée des eaux. Là-bas, totalement immergé dans le quotidien des villageois, il devient Raoul Kanazi.

Sur l’île, peu parlent le français. Raoul Viger apprendra le djerma, deuxième langue parlée au Niger après le haoussa, à l’aide de 400 petits papiers écrit recto-verso.

L’eau du fleuve est une bénédiction. Elle rend malade aussi. Tue même. Il décide de construire un puits. En 1994, de retour en France, conscient qu’il ne peut aider seul les habitants de Kanazi, il monte son association. Forte de près de 250 membres aujourd’hui, elle s’articule autour d’un « noyau dur » d’une cinquantaine de personnes. Dix d’entre elles travaillent quotidiennement à son fonctionnement. Des sapeurs-pompiers bien sûr, des médecins, des infirmiers,…

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L’action menée par la structure à Kanazi, et dans la ville de Dolbel, sur la terre ferme, prend de multiples formes : construction de dispensaires, d’écoles, transport de matériel, aide à la création d’une fabrique de savon,… Tout est fait en concertation avec les villageois, explique Raoul, qui participe régulièrement au conseil local et à « de longues palabres ». « C’est du gagnant gagnant », rit-il, sachant qu’il emprunte au vocable politique français.

Le sport fait également partie des « vecteurs importants » d’une relation faite d’échanges : une course, les Foulées internationales Kanazi, est organisée chaque année. Le 22 février prochain aura lieu la onzième édition. Elle devrait rassembler 2 000 coureurs, dont une soixantaine de femmes, ce qui n’était pas acquis aux débuts. En la faisant passer de 11 à 18 km, Raoul espère ainsi attirer des coureurs à pied européens dès l’an prochain, grâce aux partenariats qu’il entend développer avec les organisateurs du Marathon de Paris, et le voyagiste Point Afrique notamment. Une course handisport ponctue également l’événement, « afin de faire prendre conscience de la question du handicap ».

 

Impossible d’aider là-bas, sans aider ici

Raoul Viger « Kanazi » est parti hier de Marseille pour son premier voyage de l’année. A bord de l’avion, vingt cinq autres personnes l’accompagnent, emportant avec eux près d’une tonne de matériel médical. Ils vont fêter, avec les habitants de l’île, les quinze ans de l’association. Raoul voulait faire venir un orchestre de la capitale nigérienne pour l’occasion. Mais le chef du village en a décidé autrement, expliquant dans une lettre adressée récemment à Raoul que sur la terre des ancêtres, nulle autre musique que celle des femmes installées sur place n’est tolérée. Soit. Il n’y a pas lieu de discuter, encore moins de se disputer, dans ce village qui, s’il connaît quelques lointaines réminiscences de la période esclavagiste, n’a connu « ni crime ni délit » depuis les années 50.

Partir à Kanazi, c’est découvrir ces Autres, mais « surtout se découvrir soi-même ». « Nous avons soigné plus d’Occidentaux que d’Africains » durant ces voyages, résume l’ancien sapeur. Pas d’angélisme cependant : Raoul sait que cette relation repose parfois sur la notion de profit. Elle est loin en tout cas d’être paternaliste. « En quinze ans, la plupart ne m’ont jamais rien demandé ». Et puis, n’est-il pas considéré « comme un Africain », par ses amis africains ? Ici aussi, il aime se définir comme « blanc à l’extérieur, noir à l’intérieur »

A Marseille, l’un de ses ports d’attache, il ne pouvait d’ailleurs se contenter de regarder ceux que l’on laisse dans le dénuement le plus total sans bouger. « On aide là-bas, et l’on ne ferait rien ici ? ». Il lance alors l’opération Sakado, qui s’inspire de ce qui se fait déjà au Canada, en direction des SDF. « Sans domicile fixe ? Au contraire, on les retrouve toujours à la même place, sur le même carton, sous la même passerelle. Eux à qui l’on n’a pas pris la peine de trouver un logement décent ».

D’ailleurs, ses vœux, plutôt que de les adresser à ses adhérents, à coup de petits fours et de champagne (bon, c’est vrai que les politiques se sont abstenus cette année, pour cause de « crise »), il les a fêtés avec ses copains de la rue. Ce soir-là, c’est eux qui recevaient.